"il n’est pas question de livrer le monde aux assassins d’aube" (Aimé Césaire)

"il n’est pas question de livrer le monde aux assassins d’aube" (Aimé Césaire)

mardi 5 mars 2019


Salle obscure et souillure de l’écran : À quoi rime ce cinéma ?

TDR

« Il m'a agressé avec un tesson de bouteille. Il m'a déchiré le visage », raconte l’actrice Azata Soro. Il, c’est le cinéaste burkinabé Tahirou Tasséré Ouédraogo. Cette agression barbare a eu lieu le samedi 30 septembre 2017, sur le plateau de la série « Le Trône » où Azata Soro travaillait comme deuxième assistante. Tant de réalisateurs se prennent pour des rois et se croient tout permis, le temps d’un tournage. Temps éphémère, pouvoir dérisoire, élus en carton-pâte. Beaucoup de cinéastes africains ont dénoncé la tyrannie que perpétuent certaines traditions, le joug qui pèse sur les femmes, la dictature qui sévit sur le continent. Quelle valeur peut avoir leurs discours si leurs actes révèlent immoralité et manque d’éthique ? Un homme qui respecte la femme, c’est juste un homme qui se respecte. Avant de maîtriser la technique cinématographique, ne doit-on pas d’abord apprendre à bien tenir les cordons de son cache-sexe, avoir de la tenue, se maîtriser ? Azata Soro porte sur son visage une cicatrice. A cause d’un agresseur sexuel, combien de femmes qui ont travaillé dans le cinéma portent l’invisible balafre qui leur gâche la vie ?   

Le septième art a de la noblesse. Sa traîne ne devrait pas être lacérée par la bête qui sévit dans les lieux de tournage. Les actrices africaines ont de la noblesse. Leur corps ne devrait pas servir de gibier à la bête qui lance « action ! » Éclairer les femmes d’une belle lumière et tenter de les violer dans l’ombre, à quoi rime ce cinéma ? Faire des films engagés où sont dénoncés l’excision, la prévarication, la corruption, le mariage forcé, etc., alors même qu’on se comporte comme un satyre avec des actrices sur qui on exerce un ignoble chantage, à quoi rime ce cinéma ? Exposer sur grand écran des thèses sur les droits de l’homme, les droits des femmes, les droits des peuples et je ne sais quel droit encore, alors même qu’on s’octroie un droit de cuissage sur les actrices, à quoi rime ce cinéma ? Défendre l’honneur sur l’écran alors même qu’on déshonore des femmes, à quoi rime ce cinéma ? Faire de longs travellings révélant l’aube qui se lève sur l’Afrique alors même qu’on ensevelit le sourire juvénile des actrices noires, à quoi rime ce cinéma ?

La beauté du septième art a aussi pour nom sincérité, honnêteté, courage. La salle obscure ne doit pas laisser sous son tapis la saleté des prédateurs sexuels qui font leur cinéma en toute impunité. Jusqu’à quand va-t-on permettre que l’écran blanc, où la poussière d’or des films est projetée, être jauni par la giclure de plaisirs volés ? Va-t-on laisser des auréoles de lubricité fausser la beauté d’images créées par des artistes dignes de ce nom ? Avec la vérité qui finit par percer, arrive l’heure de la réparation et de la rectification.  

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