Salle obscure et souillure de l’écran : À quoi rime ce cinéma ?
TDR |
« Il m'a agressé avec un tesson de
bouteille. Il m'a déchiré le visage », raconte l’actrice Azata
Soro. Il, c’est le cinéaste burkinabé
Tahirou Tasséré Ouédraogo. Cette agression barbare a eu lieu le samedi 30
septembre 2017, sur le plateau de la série « Le Trône » où Azata Soro travaillait comme deuxième assistante. Tant de réalisateurs se
prennent pour des rois et se croient tout permis, le temps d’un tournage. Temps
éphémère, pouvoir dérisoire, élus en carton-pâte. Beaucoup de cinéastes
africains ont dénoncé la tyrannie que perpétuent certaines traditions, le joug
qui pèse sur les femmes, la dictature qui sévit sur le continent. Quelle valeur
peut avoir leurs discours si leurs actes révèlent immoralité et manque d’éthique ?
Un homme qui respecte la femme, c’est juste un homme qui se respecte. Avant de
maîtriser la technique cinématographique, ne doit-on pas d’abord apprendre à bien
tenir les cordons de son cache-sexe, avoir de la tenue, se maîtriser ? Azata
Soro porte sur son visage une cicatrice. A cause d’un agresseur sexuel, combien de femmes qui ont travaillé dans le cinéma portent l’invisible balafre qui leur gâche la vie ?
Le septième art a de la noblesse. Sa traîne
ne devrait pas être lacérée par la bête qui sévit dans les lieux de tournage.
Les actrices africaines ont de la noblesse. Leur corps ne devrait pas servir de
gibier à la bête qui lance « action ! » Éclairer les femmes d’une
belle lumière et tenter de les violer dans l’ombre, à quoi rime ce
cinéma ? Faire des films engagés où sont dénoncés l’excision, la
prévarication, la corruption, le mariage forcé, etc., alors même qu’on se comporte
comme un satyre avec des actrices sur qui on exerce un ignoble chantage, à quoi
rime ce cinéma ? Exposer sur grand écran des thèses sur les droits de
l’homme, les droits des femmes, les droits des peuples et je ne sais quel droit
encore, alors même qu’on s’octroie un droit de cuissage sur les actrices, à
quoi rime ce cinéma ? Défendre l’honneur sur l’écran alors même qu’on
déshonore des femmes, à quoi rime ce cinéma ? Faire de longs travellings révélant l’aube qui se lève sur l’Afrique alors même qu’on ensevelit le sourire juvénile
des actrices noires, à quoi rime ce cinéma ?
La beauté du septième art a aussi pour nom sincérité,
honnêteté, courage. La salle obscure ne doit pas laisser sous son tapis la
saleté des prédateurs sexuels qui font leur cinéma en toute impunité. Jusqu’à
quand va-t-on permettre que l’écran blanc, où la poussière d’or des films est
projetée, être jauni par la giclure de plaisirs volés ? Va-t-on laisser des
auréoles de lubricité fausser la beauté d’images créées par des artistes dignes
de ce nom ? Avec la vérité qui finit par percer, arrive l’heure de la
réparation et de la rectification.
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