"il n’est pas question de livrer le monde aux assassins d’aube" (Aimé Césaire)

"il n’est pas question de livrer le monde aux assassins d’aube" (Aimé Césaire)

samedi 28 décembre 2019


Licence pour une Charogne cultivée

      La sortie programmée du livre de Vanessa Springora, Le consentement, a déclenché une polémique sur l’acceptation des pratiques pédophiles de l’écrivain Gabriel Matzneff. Ce dernier, alors qu’il présentait ses Amours décomposés dans l’émission « Apostrophe » de Bernard Pivot, avait provoqué l’ire de Denise Bombardier, seule insurgée du plateau contre les propos tenus dans le journal publié chez Gallimard. Effarée, la journaliste canadienne avait tenté d’expliquer que la littérature ne pouvait pas servir d’alibi à l’abus de pouvoir sur des enfants mineurs, enfants que le très respecté auteur raconte avoir sodomisés. Couvert des oripeaux de la littérature française, le stupre de l’écrivain passait pour un détail amusant, la lubie d’un génie hélas trop bien compris. Ceux qui se scandalisent aujourd’hui sur ce mélange de manque de discernement, de snobisme, de machisme et de mauvaise foi, ceux qui se scandalisent sur l’acceptation du scandale, sont-ils seulement choqués par les propos nauséabonds que des soi-disant hommes de culture et de lettres tiennent sans cessent dans les média, faisant des Noirs, des Arabes et des musulmans les bouc-émissaires à piétiner ? 

      S’agissant de l’affaire Gabriel Matzneff, on explique l’indulgence par le fait qu’à l’époque l’esthétique primait sur l’éthique. Si Gabriel Matzneff avait été noir ou arabe, la littérature aurait-elle servi de caution à l’abjection ? Comme à l’époque de l’émission de Pivot, le scandale est toujours là avec son lot de cécité pratique, de silences coupables, d’arrangements mesquins et de lâches compromissions. Quand, à des personnes appartenant à tel rang social ou à telle catégorie raciale, on attribue des licences à l’indignité, c’est l'impunité qu'on instaure et le massacre de l’Homme qu’on prépare. La licence pour la charogne cultivée ou inculte ensemence l’ère de la civilisation décomposée.