Licence
pour une Charogne cultivée
La sortie programmée du livre de Vanessa
Springora, Le consentement, a déclenché
une polémique sur l’acceptation des pratiques pédophiles de l’écrivain Gabriel
Matzneff. Ce dernier, alors qu’il présentait ses Amours décomposés dans l’émission « Apostrophe » de
Bernard Pivot, avait provoqué l’ire de Denise Bombardier, seule insurgée du
plateau contre les propos tenus dans le journal publié chez Gallimard. Effarée, la
journaliste canadienne avait tenté d’expliquer que la littérature ne pouvait pas
servir d’alibi à l’abus de pouvoir sur des enfants mineurs, enfants que le très respecté auteur raconte avoir sodomisés. Couvert des oripeaux de la littérature
française, le stupre de l’écrivain passait pour un détail amusant, la lubie d’un
génie hélas trop bien compris. Ceux qui se scandalisent aujourd’hui sur ce mélange
de manque de discernement, de snobisme, de machisme et de mauvaise foi, ceux
qui se scandalisent sur l’acceptation du scandale, sont-ils seulement choqués par
les propos nauséabonds que des soi-disant hommes de culture et de lettres tiennent
sans cessent dans les média, faisant des Noirs, des Arabes et des musulmans les
bouc-émissaires à piétiner ?
S’agissant de l’affaire Gabriel Matzneff, on explique
l’indulgence par le fait qu’à l’époque l’esthétique primait sur l’éthique. Si Gabriel
Matzneff avait été noir ou arabe, la littérature aurait-elle servi de caution à
l’abjection ? Comme à l’époque de l’émission de Pivot, le scandale est toujours
là avec son lot de cécité pratique, de silences coupables, d’arrangements mesquins
et de lâches compromissions. Quand, à des personnes appartenant à tel rang
social ou à telle catégorie raciale, on attribue des licences à l’indignité,
c’est l'impunité qu'on instaure et le massacre de l’Homme qu’on prépare. La licence pour la charogne
cultivée ou inculte ensemence l’ère de la civilisation décomposée.