L’homme qui marchait sur les traces d’un « soupçon de Bonté »
A Christian Bobin
Il est mort, le poète qui décapait l’ordinaire pour révéler l’extraordinaire et fouillait dans le « très bas » pour déterrer des étoiles. Est-ce un hasard, s’il s’appelait Christian, ce poète qui, dans un monde dégoulinant de cynisme, ne craignait pas de déclarer qu’il y avait un « soupçon de Bonté » ? J’écris Bobin et je pense Beau-bien. En sismographe du subtil, Christian Bobin transcrivait avec simplicité et beauté les vibrations qu’il captait. Il se présentait comme simple messager d’une poésie qui venait d’ailleurs. Inspiré, il devenait le canal d’une parole vraie et crépitante de vie. Libre, il était ce roi bardé de paradoxes qui guerroyait sous l’emblème de la douceur, cultivait le « détachement par amour » et révélait les « ténèbres lumineux ». Celui qui disait ne rien savoir avait l’art de descendre dans l’éblouissant des nuits et d’y extraire un élixir de joie à offrir au monde. Avec lui, on pouvait voir que rien n’est insignifiant et que tout est passionnant. Sans snobisme, il envoyait valser la culture. Et pourtant, il en avait de la culture. Se méfiant du spectaculaire et évitant « le pain rassis des idées », ce quêteur au langage dépouillé de coquetterie allait aussi loin que pouvait le permettre la pointe de sa plume. Soucieux du mot juste, il était sur le fil du langage comme un funambule bégayant superbement sur la corde. Dans la profondeur des choses minuscules et fragiles, il débusquait des mondes insoupçonnés. Il était le magicien qui soulevait la croute du quotidien pour ouvrir à un réel plus beau que le rêve. Avec lui, le banal n’existe pas. Sous son regard, dans sa parole, d'une façon extraordinairement simple, tout devenait neuf et pétillant.
Chassant systématiquement la poussière de la fausse gloire, il travaillait à capter la « pensée scintillante », la poussière d’or qui nage dans la lumière des êtres et des choses. D’un éclat de rire, il lézardait sa parole pleine de gravité, brisant ainsi la glace de l’esprit capable de se prendre au sérieux. Oui, il savait rire, rire aux éclats, même si la souffrance était là, bien là, comme une confiture de fruits grenat sur la mie de sa peau, une mie aux pores ouverts comme des ouïes. La sainteté, disait-il, c’est épouser la lumière sans l’entraver, c’est « suivre les veines du bois de la vie ». On pourrait le qualifier de poète mystique, ce pratiquant dont la philosophie n’avait rien de triomphant. Cette philosophie n’était rien d’autre qu’exercice de souplesse pour apprendre à danser avec une vie sans commencement ni fin. Sa Sagesse était zéphyr. Sa poésie est éloge d'une vie célébrée jusque dans la mort qui, tel le serpent qui se mord la queue, se transmue en Vie. Habité par la certitude qu’il n’y a rien de définitif, nulle part, il décrivait la mort comme une rivière qui s’enfonce sous terre pour rejaillir ailleurs.
Il
est le mort le roi de l’oxymore qui parlait de « pelote de soleil ». Il
est mort mais je l’imagine jaillissant dans cet ailleurs de Bonté qu’il soupçonnait.
Adieu
l’ami qui ne me connaissait pas.