Le chant des crayons de
couleur contre le gribouillis des barbares
Il est des rires innocents qui
allègent le cœur et débarrassent de certains fardeaux. Il est des rires pervers
destinés à humilier des plus grands ou plus faibles. Il est des rires astucieux
qui dénudent le tyran. Il est des rires fous destinés à assainir la raison. Il
est des rires intelligents qui protègent de la bêtise. Il est des rires infâmes
destinés à déterrer des hideurs que l’histoire n’arrive pas à digérer. Qu’il
soit rafraîchissant comme le déferlement d’une vague claire ou effrayant comme
une poussée d’eau fétide, il n’est de rire à biffer d’un coup de sabre. On peut
ajouter du rire au rire. On peut détourner le rire par le rire. C’est en jouant
que l’homme lustre son génie. Einstein savait et jouer et rire.
Le massacre qui a eu lieu dans les
locaux de Charlie Hebdo, le mercredi 7 janvier 2015, est la manifestation de la
faille d’où la bête s’échappe. Cette faille, c’est le manque d’une éducation à
l’essentiel, éducation qui permet au regard de voir l’homme, le prochain, avant
toute considération d’ordre idéologique, religieuse ou raciale. Il s’agit d’une
formation à l’essentiel qui se fixe sur l’humain, que celui-ci soit Chinois,
Danois, Malien, Israélien, Pakistanais, Français, Russe, Palestinien,
Australien, Guadeloupéen ou autre. Cette faille, c’est le manque d’une
éducation qui fait prendre conscience de cette complexité dont parle
Edgard Morin – prise de conscience qui rend plus humble, plus ouvert, plus
riche, plus humain. Cette faille, c’est le manque d’éducation transformé en
nourriture creuse pour tromper la faim. Cette faille, c’est le résultat de la
masse de ténèbres mâchés pour alimenter la bête. Sur le continent africain,
américain, européen, asiatique, océanien : La faille qui permet à la bête
de se faire la belle et d’organiser ses macabres orgies. Il est urgent de
mettre l’essentiel au cœur de l’éducation et de faire de l’éducation une
urgence vitale. Il est urgent de travailler à combler la faille. La fraternité
ne se décrète pas. Elle passe par une éducation dans laquelle est inscrit cet
« art de la rencontre » qu’Albert Jacquard souhaitait placer au
centre de l’enseignement, « Art de la rencontre » qui comprend un art
de l’écoute et du dialogue.
Le sang a coulé dans les locaux de
Charlie Hebdo mais aujourd’hui des milliers de crayons se lèvent. Bien taillée,
une armée de crayons de couleur perce les ténèbres de la bête avec un chant de
liberté. En ordre, cette armée de crayons de couleur redessine l’amour au
milieu des gribouillis de la haine.
Mariama Samba Baldé