"il n’est pas question de livrer le monde aux assassins d’aube" (Aimé Césaire)

"il n’est pas question de livrer le monde aux assassins d’aube" (Aimé Césaire)

vendredi 9 janvier 2015

Le chant des crayons de couleur contre le gribouillis des barbares 


Il est des rires innocents qui allègent le cœur et débarrassent de certains fardeaux. Il est des rires pervers destinés à humilier des plus grands ou plus faibles. Il est des rires astucieux qui dénudent le tyran. Il est des rires fous destinés à assainir la raison. Il est des rires intelligents qui protègent de la bêtise. Il est des rires infâmes destinés à déterrer des hideurs que l’histoire n’arrive pas à digérer. Qu’il soit rafraîchissant comme le déferlement d’une vague claire ou effrayant comme une poussée d’eau fétide, il n’est de rire à biffer d’un coup de sabre. On peut ajouter du rire au rire. On peut détourner le rire par le rire. C’est en jouant que l’homme lustre son génie. Einstein savait et jouer et rire.

Le massacre qui a eu lieu dans les locaux de Charlie Hebdo, le mercredi 7 janvier 2015, est la manifestation de la faille d’où la bête s’échappe. Cette faille, c’est le manque d’une éducation à l’essentiel, éducation qui permet au regard de voir l’homme, le prochain, avant toute considération d’ordre idéologique, religieuse ou raciale. Il s’agit d’une formation à l’essentiel qui se fixe sur l’humain, que celui-ci soit Chinois, Danois, Malien, Israélien, Pakistanais, Français, Russe, Palestinien, Australien, Guadeloupéen ou autre. Cette faille, c’est le manque d’une éducation qui fait prendre conscience de cette complexité dont parle Edgard Morin – prise de conscience qui rend plus humble, plus ouvert, plus riche, plus humain. Cette faille, c’est le manque d’éducation transformé en nourriture creuse pour tromper la faim. Cette faille, c’est le résultat de la masse de ténèbres mâchés pour alimenter la bête. Sur le continent africain, américain, européen, asiatique, océanien : La faille qui permet à la bête de se faire la belle et d’organiser ses macabres orgies. Il est urgent de mettre l’essentiel au cœur de l’éducation et de faire de l’éducation une urgence vitale. Il est urgent de travailler à combler la faille. La fraternité ne se décrète pas. Elle passe par une éducation dans laquelle est inscrit cet « art de la rencontre » qu’Albert Jacquard souhaitait placer au centre de l’enseignement, « Art de la rencontre » qui comprend un art de l’écoute et du dialogue.

Le sang a coulé dans les locaux de Charlie Hebdo mais aujourd’hui des milliers de crayons se lèvent. Bien taillée, une armée de crayons de couleur perce les ténèbres de la bête avec un chant de liberté. En ordre, cette armée de crayons de couleur redessine l’amour au milieu des gribouillis de la haine.  

Mariama Samba Baldé