"il n’est pas question de livrer le monde aux assassins d’aube" (Aimé Césaire)

"il n’est pas question de livrer le monde aux assassins d’aube" (Aimé Césaire)

jeudi 15 novembre 2012

La voici, la dame qu'ils ont flinguée


Copyright M.S.B.
La voici avec son petit-fils. Prise cet été, cette photo est tellement représentative de tout l’amour dont cette femme était emplie. Elle s’appelait Aïssatou Boiro et était la directrice nationale du Trésor public de Guinée. Sa nomination à ce poste, elle le devait aux preuves qu’elle avait données de son sérieux. Lutter contre les malversations financières, stopper les attributions de marché basées sur le copinage et la corruption, avoir une comptabilité limpide, remettre le Trésor public sur les rails et faire de la Guinée un pays respectable, tel était son but. Vigilante et perspicace, elle a épinglé plusieurs personnes qui détournaient les fonds de l’État, n’hésitant pas à imiter des signatures. Les documents qu’elle passait à la loupe, les incohérences qu’elle repérait et dénonçait, ainsi que les mesures qu’elle prenait pour en finir avec les aberrations, la prévarication et l’injustice commençaient à en agacer plus d’un. Les propositions alléchantes, pour partager le butin, n’ayant pas marché, les intimidations de toutes sortes non plus, les vautours ont décidé de la supprimer.


La voici, la dame qu’ils ont flinguée. Une épouse aimante, qui était aussi l’amie de son mari. Une mère affectueuse, qui était aussi l’amie de ses enfants. Une tendre grand-mère, qui illuminait la vie de ses petits-enfants. Pour que ses quatre enfants fassent de bonnes études et puissent voler de leurs propres ailes, elle a bossé dur. Pour que la Guinée sorte de son marasme et puisse voler de ses propres ailes, elle bossait dur. Son travail était devenu une mission pour laquelle elle s’est sacrifiée. À ses collaborateurs elle disait de ne pas avoir peur, de ne pas céder aux menaces car le job devait être fait. C’est en rentrant chez elle, après avoir travaillé jusqu’à 20h, que des malfrats en tenue militaire ont stoppé sa voiture, lui ont tiré dessus, l’ont arrachée à ceux qui l’adoraient. Voilà le job qu’ils ont fait, le vendredi 9 septembre 2012.

La voici, la dame qu’ils ont flinguée. Dans le cœur du mari, des enfants et de tous ceux qui l’ont aimée, la douleur a creusé un abyme sans fin. Pourtant, il va bien falloir continuer à marcher car cela n’est pas possible de laisser la terreur des prévaricateurs avoir raison du courage des hommes droits. Cela n’est pas imaginable de se dire que, dans un pays où les cupides sont prêts à assassiner, autant laisser ces gens-là bouffer et les travers se perpétuer. Bien au-delà du cercle de la famille et des amis, le meurtre de Madame Boiro est une grande perte pour la Guinée et l’Afrique. Tout comme le viol des femmes dans le stade du 28 septembre, l’assassinat d’Aïssatou Boiro témoigne de la barbarie de Guinéens qui entendent jouir par force, qu’il s’agisse de sexe, de pouvoir ou d’argent.

La voici, la dame qu’ils ont flinguée. Une foule venue des quatre coins du monde a convergé vers son village natal, où elle a été enterrée. On ne compte pas le nombre d’enfants de Guinée qui exercent leur talent un peu partout dans le monde. Va-t-on motiver leur retour avec l’image d’un pays natal où une femme peut se voir ôter la vie, si elle ose troubler le festin des goinfres ? Ceux-là ont envoyé un message simple : Si vous mettez une personne vertueuse aux finances, on l’abat. Aïssatou Boiro symbolisait l’espoir d’une gestion saine des deniers publics. Par la grande porte, elle est entrée dans l’histoire guinéenne. Qu’à jamais elle soit une étoile qui guidera les enfants du continent. Merci Madame Boiro. Adieu. Bravo!


Mariama Samba Baldé