Une pandémie qui conduit au
pèlerinage
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Une pandémie qui conduit au pèlerinage
Un vent de pandémie souffle. Dans les
pays où il fait gris et froid, dans les pays où le soleil rit tout le temps, ce
vent souffle et par milliers des hommes tombent. L’on se confine pour ne pas
être touché. Une distance se creuse et le temps ne s’écoule plus dans sa fluidité
naturelle, il s’est transformé en goutte-à-goutte. Le monde retient son souffle
et chaque minute vaut son pesant d’or. L’heure est grave, enfin ! L’heure est
grave, à la bonne heure ! Je ne peux pas croire que ce vent qui tue est
complètement mauvais. Il est impossible qu’aucune poussière de lumière ne l’habite.
Et s’il infectait pour aussi désinfecter, dégradait pour également réparer ?
Un vent de pandémie souffle. Le
couvre-feu a calciné moult plans et les déprogrammations ont accouché d’un
désert. Cela saute aux yeux que l’on ne sait pas grand-chose, que l’on n’est
pas grand-chose et qu’une invisible petite chose pourrait rayer l’homme de la
carte. Face au covid ni nom, ni couleur de peau, ni fortune, ni notoriété n’offrent
de dispense. Pour s’en tirer, il y a obligation de se soutenir en permettant à
celui qui ne vous ressemble pas de s’immuniser. L’homme qui a soif entend mieux
l’appel de la quête vers l’oasis qui désaltère l’âme. Son pèlerinage intérieur
va pouvoir commencer. Pour avancer, il devra égorger le soleil de la vanité et faire
gicler le sang crépusculaire des idoles. Il lui faudra lâcher les illusions et
commencer à marcher, pieds et cœur nus, vers tout ce qu’il a oublié. Qui sait ?
Peut-être que derrière les dunes de l’espérance attend un soleil sans mirage, le
soleil vermeil de la renaissance.
Un vent de pandémie souffle. Les
oripeaux s’envolent et le roi est nu. Les Soleils des indépendances sont
encore plus pâles au temps du corona. Face au fléau, le comportement des grandes
puissances doit à jamais servir de leçon. Les miroirs se fissurent et la vérité
apparaît dans toute sa cruauté. Un virus empêche le monde de tourner en rond et
affiche au grand jour l’impuissance des uns et des autres. Un minus dévore le
temps et dément les grands. Difficile de stopper la vague de contaminations qui
déshabille et questionne. Quelle indépendance pour le Sénégal, quand ses
talibés sont bouffés par la gale ? Quelle indépendance pour le continent
noir qui importe vaccins et médicaments ? Quelle indépendance pour
l’Afrique, quand ses dictateurs vont se faire soigner en Occident ? Fidèle
à lui-même, l’Occident augurait du pire pour cette partie du monde. L’hécatombe
qu’il prédisait aura bien lieu mais pas là où il l’attendait au départ. Je
n’ose imaginer les insultes qu’on aurait spécialement modelées pour les
Africains si le covid avait vu le jour sur leur sol.
Un vent de pandémie souffle. Le silence
prend place. Descente dans les profondeurs de son pays natal. Voyage vers le
centre de sa terre. Dans cette région-ci, la vérité s’affiche sans fard. La voici
l’incapacité qui met à mal la fierté. La voici l’insensibilité qui réduit à
néant la religiosité. La voici la mauvaise foi qui sème l’ignorance pour mieux
régner. La voici la tyrannie qui exile la raison. La voici la terreur qui venge
les médiocres. La voici la tromperie qui entretient la misère. Ce ne sont pas
les hôtels cinq étoiles, les routes, les voitures et villas de luxe qui donneront
une belle image de l’Afrique. Ce ne sont pas les parfums de marque et les
grandes toilettes qui décrasseront le regard de mépris que beaucoup posent sur les
Africains. Tant que ce continent n’arrivera pas à se nourrir, se vêtir, se
soigner et s’éduquer lui-même, le respect s’évaporera aux abords de ses
rivages. Tant que ses propres enfants préfèreront échouer sur les plages
européennes, plutôt que de vivre dans leurs propres pays, l’Afrique ne relèvera
pas la tête. Tant que des hordes d’enfants affamés et enguenillés hanteront ses
artères, ce continent ne jouira que d’un semblant de dignité. Tant que ce
continent ne fera pas de l’enfant le centre de son attention, toute acquisition
ne sera qu’infatuation.
Un vent de pandémie souffle. L’heure de
vérité a sonné. La base est fragile, l’édifice ne tient pas. La base, c’est
l’éducation. De là tout commence, croît et se déploie. Là est la véritable voie
d’affranchissement. « Formez-vous, armez-vous de sciences jusqu'aux dents »,
tel est le viatique que Cheikh Anta Diop a laissé aux Africains. Qu’en est-il
aujourd’hui ? Que vaut l’école sénégalaise ? Où en est la recherche
africaine ? Que servent les télévisions africaines ? Pourquoi des
soi-disant faiseurs de miracles pullulent dans les média et polluent les
esprits ? De quel statut jouit l’enseignant dans nos sociétés ? Qui
sert de modèle aux jeunes africains ? Quelle est la place du livre dans
nos familles ? Quelle est la place du silence dans nos espaces de
vie ? Oser le silence et l’odyssée dans l’univers des livres ne transforme
pas en Toubab. Faut-il attendre des Instituts Français qu’ils offrent aux
populations africaines des espaces d’études, de réflexions et d’expressions
artistiques ? Désirer des bibliothèques et des lieux d’études dans nos
quartiers ne fait de quiconque un Toubab. La richesse de l’Afrique ne se limite
pas aux matières premières. Sa matière grise, la première des richesses, doit faire
l’objet d’une meilleure protection et d’un plus grand investissement car c’est
de là que jaillira l’or noir et autres catégories d’or. Afin d’aider les
enfants à cultiver leur corps et leur esprit, une organisation des parents, en
fonction de leurs moyens, est absolument nécessaire. La limitation des
naissances n’est pas affaire de Toubab. Il est indéniable que la vie a ses
mystères et qu’il est impossible de tout prévoir, tout maîtriser. Des génies,
des hommes et des femmes d’exception sont nés de familles nombreuses et loin
d’être aisées. Cependant, compter sur la chance, miser sur le miracle, c’est
risquer de faire pencher le navire et de sombrer dans le malheur. Les hordes
d’enfants affamés et enguenillés qui sillonnent les villes africaines
prolongent la sombre fresque des damnés de la terre, cette terre qui a
soif du silence de l’instruction et qui a hâte de porter des fruits de lumière.
Un vent de pandémie souffle. L’heure est
au bilan. De vieilles peurs ont refait surface. Traitements et vaccins en
provenance d’Occident suscitent méfiance et peur chez beaucoup de Noirs. Jean-Paul
Mira, chef de la réanimation à l'hôpital Cochin, échangeant sur LCI avec Camille
Locht, un directeur de recherche à l'Inserm, soutenait tranquillement que les
traitements contre le covid devaient être testés en Afrique, « comme c'est
fait d'ailleurs sur certaines études avec le sida, où chez les prostituées ».
Ce genre de propos ajoutent à une paranoïa déjà alimentée par des faits
historiques mais aussi par des affabulations. Que faire maintenant que
l’Afrique reçoit des lots de vaccins de pays qui n’ont aucun scrupule à piller
ses mers et s’arranger pour s’emparer de ses richesses, avant d’y envoyer leurs
déchets ? N’est-ce pas l’occasion de réaliser le vieux rêve d’une Afrique sans
les Africains ? Plus que jamais, il est clair que même si l’Afrique a ses
remèdes, elle compte beaucoup sur l’Occident pour se soigner. Ce constat est-il
une fatalité ou une opportunité ?
Un vent de pandémie souffle. L’heure
est à la réorganisation. Si l’Afrique paraît ridicule dans son morcellement sans
queue ni tête, grotesque avec ses autocrates jamais rassasiés, pitoyable avec
son corps gangrené par la corruption et misérable sous le feu d’artifices de
ses horreurs, elle a encore de la noblesse, de la force, de la beauté, une élégance
racée, d’infinies potentialités. La pandémie a jeté une vive lumière sur ses
fragilités et mis en exergue les dangers qui la guettent. Elle a montré
l’urgence, pour le continent noir, à être son propre laboratoire, son propre
médecin, son propre pharmacien. Elle a montré l’urgence de se pencher sérieusement
sur nos plaies pour trouver les remèdes adéquats. Attendre des autres qu’ils vous
soignent, c’est risquer de périr. Même si c’est une leçon amère comme la
quinine que l’Afrique tire de cette situation, la pandémie laisse toutefois
entrevoir une voie de guérison. Ce continent, qui a su élaborer des processus
de réparations sur la terre de ses trauma, saura se servir de ses trésors pour bâtir
le socle de sa réunification et travailler à sa renaissance.
Un vent de pandémie souffle. Tout n’est
pas perdu. L’Afrique souffre mais ne s’étiole pas comme prévu. Son sourire n’a
pas disparu. Ses élans de vie sont à protéger, sa réserve d’humanité à
préserver et ses richesses tant convoitées à sauvegarder. Certes il lui faut
des masques, des gels, des traitements et des vaccins pour lutter contre le
covid. La pire contamination qu’elle a à éviter reste cependant celle qui sape sa
confiance, dégrade son image, exile son imaginaire, confisque sa parole, lui
transmet des représentations aliénantes et lui fait croire que son salut est en
dehors d’elle-même. Puisse le temps de cette pandémie être pour l’Afrique celui
d’un silence fécond qui l’amène à faire face à ses démons, à terrasser ses
monstres, à purifier son esprit et à renouer avec sa propre parole, celle-là
qui lui permettra de recouvrer la santé et de gagner enfin son indépendance.
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